ECAL Cinéma 2020
Le Cinéma à l’ECAL
ECAL/Ecole cantonale d’art de Lausanne
« Le cinéma, c’est un oubli de la réalité », selon le célèbre réalisateur franco-suisse Jean-Luc Godard, qui a défrayé la chronique écalienne en 2020. Un oubli nécessaire en cette année Covid- pas-très-friendly. Mais c’est aussi avant tout la notion de partage. Bien sûr, on peut se « mater » seul sa petite série sur son écran de 15 pouces. Tel un plaisir solitaire. Cependant, rien de mieux que de se faire une toile au ciné, que ce soit en famille, avec ses amis ou son/sa dulciné·e. Un bonheur qui peut se révéler quasi égal, lové dans son canapé, par le biais d’écrans géants HD et des plateformes de diffusion connues de tous. Toutefois, peu importe l’émetteur, une œuvre cinématographique orpheline de son public et soustraite de tout récepteur n’existe pas.
Le partage, c’est également celui d’une créatrice ou d’un créateur. Transmettre une idée, étayer un point de vue, raconter des histoires ou encore faire ressentir des émotions. C’est celui d’une équipe tout autant, dont les savoir-faire convergent vers un même but : la réalisation d’un objet filmique. Cela peut être un transfert de connaissance, comme c’est par essence le cas à l’ECAL, où des professionnels aguerris enseignent les outils nécessaires aux jeunes générations, afin qu’elles intègrent à 5 leur tour ce que d’aucun appelle la grande famille du cinéma.
Le partage pour apprendre le partage. Même son de clap pour les passeurs, ces intermédiaires si chers au fameux critique Serge Daney, dont la position médiane participe à la rencontre entre films et publics.
« Un film n’est pas une tranche de vie, c’est une tranche de gâteau », cabotinait un autre metteur en scène mythique, Alfred Hitchcock. C’est toute cette pièce montée que nous souhaitons aujourd’hui croquer, couche par couche, avec vous. Quand partage rime avec ouvrage. Pour la troisième fois, nous avons donc tenu le pari de publier un livre qui narre une année (extraordinaire) de cinéma à l’ECAL et de mettre en commun un lien vers les films de nos diplômé·e·s. Pas de souci, les dis- tances de sécurité seront certainement respectées et soyez sûrs que notre plaisir de créer sera à 100 % partagé !
Alexis Georgacopoulos, Directeur de l’ECAL
2020. Cela devait être une année de rêve, un accomplissement, l’acmé de toutes les victoires. Nous avions atteint la parité au niveau de l’enseignement, nos films avaient conquis l’Amérique, l’Europe et même la Suisse ; ils circulaient de télévisions en festivals, de plateformes en salles de cinéma, les professionnel·le·s ne connaissaient que nous, la carrière des étudiant·e·s diplomé·e·s ressemblait à une pente ascensionnelle sans fin. Qu’est-ce qui aurait pu stopper notre élan en cette année 2020, deux fois mieux qu’un dix sur dix ?
Rien. Sauf une catastrophe.
Eh bien... justement.
Le 16 mars 2020, l’ECAL est devenue un grand vaisseau fantôme dérivant dans un cosmos sans étoile. Dans les salles de montage, les papiers de couleur synthétisant l’avancée du travail frémissent sous l’effet de la ventilation encore active. Salle Kiarostami, une caméra montée sur trépied attend un acteur qui ne viendra plus. Dans le grand studio, les feuilles de décors conçues par les étudiant·e·s scénographes de la Manufacture ne serviront jamais d’exercice lumière aux cheffes opératrices et chefs opérateurs de 2e année. Des réalisatrices et réalisateurs, il ne reste que des piles de dossiers contenant 7 budgets et photos, scénarios et listes artistiques, comme autant de films à venir qui ne verront peut-être jamais le jour.A moins que...
Nous continuions à faire ce que nous savons faire, malgré l’époque, ou grâce à elle justement. La pandémie a éprouvé notre solidarité, notre capacité à faire nos métiers quand la rencontre, qui en est l’élément principal, nous était interdite. Nous avons su saisir les opportunités : rencontrer un Jean-Luc Godard si loin, si près, une Claire Denis « Maîtresse du Réel » à Nyon alors que plus rien ne semblait l’être. Les cinéastes amis surgissaient tels des « pop up » au milieu de nos salles de cours numériques pour encourager, conseiller. Ce temps de latence est devenu le temps du débat. Il n’était plus question de savoir quand nous filmions, mais pourquoi. Et pour qui, puisque les salles de cinéma étaient (et sont toujours) désertées ?Ce ne sont ni les classements internationaux ni les trophées remportés, ou le nombre d’abonnés sur Instagram qui font la grandeur d’une école. Seule sa capacité à faire front commun dans l’adversité justifie son existence et sa mission. En 2020, les étudiant·e·s de l’ECAL ont, à ce titre, plus que jamais prouvé leur excellence.
Un merci à toutes les institutions amies qui ont maintenu leurs collaborations avec le département cinéma en ces temps incertains. Et particulièrement à la Cinémathèque suisse, le Centre culturel suisse de Paris, Visions du Réel, La Fémis, le Centre de linguistique et des sciences du langage de l’université de Lausanne, ainsi qu’à La Manufacture et l’Arboretum du Vallon de l’Aubonne.
Lionel Baier, responsable du Département Cinéma
Bachelor Cinéma
Ce programme s’adresse à des étudiant·e·s passionné·e·s par tous les genres du cinéma et de l’image en mouvement (fiction, documentaire, film expérimental, de communication, programme télévisuel, clip et publicité).
Si la formation en réalisation – dont l’écriture personnelle– reste centrale, ce Bachelor apporte des compétences pluridisciplinaires et étendues dans les différents métiers du cinéma (scénario, image, son, scripte…). Grâce à des cours et des ateliers donnés par des personnalités reconnues de la discipline, les étudiant·e·s se perfectionnent dans des domaines aussi divers que la mise en scène, la direction d’acteurs/actrices, l’écriture scénaristique ou encore la production. Des mandats pour des institutions ou des entreprises, leur permettent de se confronter au monde professionnel.
Très souvent projetés dans les festivals du monde entier, diffusés sur les chaînes de télévision nationales et étrangères, de nombreux films sont régulièrement primés. Les étudiant·e·s bénéficient également d’un enseignement théorique et de conférences multidisciplinaires au sein même de l’école.
Les compétences acquises durant le cursus Bachelor leur offrent la possibilité d’explorer et de présenter un portfolio de films d’une grande variété leur permettant ensuite de s’inscrire dans les divers métiers du cinéma, de réaliser des films d’auteur.e, des commandes publicitaires et aussi de travailler à la télévision, dans des maisons de productions ou encore au sein de festivals. Les étudiant·e·s peuvent approfondir leur domaine de prédilection en poursuivant par le Master en Cinéma à l’ECAL ou un programme équivalent dans une autre institution.
Corps professoral 2019–2020
Responsable Cinéma
Lionel Baier
Coordinatrice
Rachel Noël
Professeur·e·s
Lionel Baier
François Bovier
Rachel Noël
Benoît Rossel, Paris
Richard Szotyori
Production et diffusion
Jean-Guillaume Sonnier
Postproduction
Mykyta Kryvosheiev
Patrick MuroniResponsable Année Propédeutique
David Monnet
Professeur Propédeutique
Thibault de ChateauvieuxResponsables Master Cinéma
Lionel Baier (ECAL)
Nicolas Wadimoff (HEAD)
Coordinatrice Master Cinéma
Jasmin Basic
Assistante
Alice RivaJury de diplôme Bachelor
Yolande Decarsin, Paris
Julien Hirsch, Paris
Isabelle Manquillet, Paris
Jacques Kieffer, ZürichJury de diplôme Master
Aël Dallier Vega, Paris
Aline Schmid, Genève
Stéphane Batut, Paris
Marion Vernoux, ParisIntervenant·e·s Propédeutiques
Sylvain Meltz
Adeena Mey
Anna PercivalIntervenant·e·s Bachelor
Elsa Amiel, Paris
Séverine Barde, Genève
Blaise Bauquis, Genève
Joakim Chardonnens
Raphaël Chevènement, Paris
Josée Deshaies, Paris / Montréal
Martin Drouot, Paris
Annette Dutertre, Paris
Laurence Ferreira Barbosa, Paris
Pauline Gaillard, Paris
Agnès Godard, Paris
Laurent Guido, Paris
Blaise Harrison, Paris
Denis Jutzeler, Genève
Natsu Kashiwamoto, Osaka
Laurent Larivière, Paris
Marianne Lamour, Paris
Rachel Lang, Bruxelles
Stéphane Lévy, Paris
Augustin Losserand
Ursula Meier, Bruxelles
Marie Monge, Paris
Pascale Mons, Paris
Sayaka Mizuno, Genève
Jeanne Oberson, Bordeaux
Suzana Pedro, Paris
Jean-Baptiste Perrin
Aude Py, Paris
Maxime Raymond
Antoine Russbach
Raphaël Sohier, Paris
Clément Schneider, Paris
Karine Sudan, Genève
Olivier Touche, Paris
Laëtitia Trapet, Paris
Patrick Tresch
Camille Vidal-Naquet, Paris
Jérôme Vittoz, Thonon
Marc Von Stürler
Anne Carmen Vuilleumier
Katharina Wyss, Berlin
Catherine Zins, Paris
Timothée ZurbuchenIntervenant·e·s Master
Claire Atherton, Paris
Sévérine Barde, Genève
Yaël Bitton, Paris
Guillaume Brac, Paris
Philippe Ciompi, Genève
Etienne Curchod
Delphine Gleize, Bordeaux
Mathilde Henrot, Paris
Carlos Ibañez Diaz, Genève
Rachel Lang, Bruxelles
Laurent Larivière, Paris
Xavier Lavorel, Genève
Pedro Pinho, Lisbonne
Sonia Rossier
Antoine Russbach
Denis Séchaud, Genève
Raphaël Sohier, Paris
Karine Sudan, Genève
Timothée ZurbuchenMasterclasses
Jeanne Balibar &
Laurence Ferreira Barbosa, Paris
Monia Chokri &
Josée Deshaies, Montréal
Stéphane Demoustier, Paris
Claire Denis, Paris
Jean-Luc Godard, Rolle
Jean-François Stévenin, ParisRécompenses 2019-2020 (sélection)
Félicitations aux alumni en Bachelor et Master Cinéma. Avec 151 sélections dans des festivals et diffusions dans 24 pays et 11 prix gagnés, 2019-2020 fut une belle année pour les films de diplôme de l’ECAL !
Golden Medal (Oscars), Academy of Motion Picture Arts and Sciences, Los Angeles, USA
Best Student International Short, Palm Springs International ShortFest, USA
Best Emerging Student Filmmaker Award, Palm Springs International ShortFest, USA
Prix du cinéma suisse 2020, catégorie « Meilleur film de diplôme »
Prix du jury, Sunday Shorts Film Festival, Lisbonne, Portugal
The Best Swiss School Film, Internationale Kurzfilmtage Winterthur, Suisse
Prix du public, festival Upcoming film makers – Schweizer Jungfilmfestival Luzern, Suisse Swiss film awards, Best Graduation Film, Schweizer Jugendfilmtage, Zurich, SuisseContact
ECAL/Ecole cantonale d'art de Lausanne
5, avenue du Temple
CH-1020 RenensContact production et diffusion des films : jean_guillaume.sonnier@ecal.ch
Design graphique : Bilal Sebei
Site web : Computed·By© ECAL 2019
Année Propédeutique
Ilan Dubi, L'Olympe, 7’30”
Atelier propédeutique
Deux étudiants en art attendent l’heure pour partir. Ce soir, Léon tente sa chance. A une soirée mondaine, il rencontrera une galeriste qui pourra lui ouvrir les portes du succès artistique.
Avant même le début de l’atelier, Ilan avait son sujet. A l’annonce du confinement, il ne s’est pas découragé et s’est lancé dans la production de cette histoire coûte que coûte. En réponse à chaque difficulté, il a imaginé une trouvaille audacieuse et réjouissante, et grâce à un travail de longue haleine, il est parvenu à transmettre son récit au spectateur.
L’Olympe pourrait tout à fait être le premier film du monde tant il manifeste un plaisir presque enfantin à penser et agencer des plans. Comme dans un film d’époque d’Eric Rohmer, Ilan parvient à faire exister tout un monde avec une paire de tongs et un verre vide.
Thibault de Chateauvieux, réalisateur
Remi Molleyres, Le Caméscope, 7’29”
Atelier propédeutique
Confiné dans sa maison familiale, Remi sort d’un carton le caméscope de son adolescence. Il redécouvre les rushs de ses premières réalisations : tutoriels, critiques de films face caméra, images documentaires, expérimentations techniques, fictions. En s’inspirant de cette précieuse matière et avec la complicité de ses frère et sœur, Remi reconstitue avec précision le tournage d’un western.
Au fond du jardin, un jeune réalisateur semble ne pas savoir ce qu’il veut, mais il dirige son frère et sa sœur avec acharnement et cruauté. Les cadres et le découpage sont toujours justes et les situations comiques bien trouvées. La dernière scène du film prouve que Remi a beaucoup d’autodérision et une idée du cinéma bien à lui. On pense à la dernière image d’Herman Slobbe de Johan van der Keuken. « Dans un film, tout est forme. Herman est une forme. A bientôt, petite forme. »
Thibault de Chateauvieux, réalisateur
1re année Bachelor
Alice Denyse Mathey, Ancien brave homme, 8’
Atelier film de commande – Ville de Renens
Alice fait le portrait de Pierre-Alain Mathez, retraité de la police, résidant à Renens. Le dialogue avec l’étudiante s’est révélé riche et constructif, son énergie et sa ténacité lui ayant permis de trouver le ton juste pour un film qui s’avère touchant, évoquant la nostalgie d’un homme pour son métier. L’exigence et le caractère déterminé d’Alice se retrouvent dans ses images : choix de cadre affirmé, dispositif narratif récurrent à travers l’usage de photographies dans différents contextes.
A partir de cette matière, il s’agissait de l’aider à organiser un récit, lui apprendre notamment que monter, c’est renoncer à beaucoup de cette matière (et donc à plusieurs sujets évoqués) pour raconter le mieux possible une histoire. L’aider à prendre des décisions tout en mettant en valeur ses choix formels. Alice a donc centré le récit sur la passion de Pierre pour son métier, tout en laissant deviner des aspects de la vie familiale, telle la mort d’un fils.
Dans nos échanges, il s’agissait donc de la faire travailler sur l’adéquation entre ses partis pris formels et la narration, et permettre à la réalisatrice de créer de l’émotion. Par exemple, le choix musical était fort mais fragile au départ. Là encore, il a fallu donner du sens dans la collusion entre la voix grandiloquente de Pavarotti et la vie de Pierre. En se gardant d’un regard ironique ou moqueur. Pari réussi.
Suzana Pedro, monteuse
Solène Mercier, Lisette M, 6’19”
Atelier film de commande – Ville de Renens
Lisette M, réalisé par Solène Mercier, c’est le portrait d’une femme qui organise année après année des rencontres entre anciens camarades à Renens. Le film s’ouvre sur une photo de classe en noir et blanc, où un doigt pointe, en les nommant, des figures d’enfants sur une image qui a probablement plus d’un demi-siècle. Certains ont disparu, d’autres sont encore vivants. Mais à partir de cette femme, qui est le fil rouge de cette communauté de contemporains, le film en raconte bien plus.
Lisette M est un film sur le temps qui a passé, sur l’amitié qui perdure malgré les accidents de la vie, un film où les vivants sont en sursis. Ce qui est troublant dans ce documentaire c’est que le film lui-même est le témoignage de la présence vivante de Lisette. Un jour, elle aussi aura disparu et ne sera plus là pour faire le lien entre ses camarades. Plus personne ne fera comme elle les invitations pour les retrouvailles annuelles, et seul ce film témoignera d’un monde qui est déjà en train de disparaître.
Pour ne citer que cet exemple, que je trouve parfaitement réussi, Solène Mercier a pris soin de mettre en valeur les motifs de fleurs que l’on trouve sous différentes formes dans l’appartement où elle a tourné. Mais si certaines de ces fleurs sont bien vivantes, d’autres sont artificielles ou simplement dans le décor du papier peint, des images. Le projet devient alors une méditation sur la vie, la mort et la disparition d’un monde qui pourtant reste artificiellement vivant par la mécanique du cinéma.
Benoît Rossel, réalisateur
Yan Ciszewski, Bande-annonce FFFH: J'sai pas quoi faire, 1’
Atelier film de commande – FFFH / Festival du Film Français d’Helvétie
Impossible n’est pas français, surtout quand il s’agit de cinéma. En plein confinement, Yan Ciszewski a réussi à mettre en capsule Pierrot le fou et Jean-Luc Bideau, à eux seuls deux pans de la Nouvelle Vague d’ici et d’ailleurs. Ce qui tombait à pic pour la demande du Festival du Film Français d’Helvétie, qui tient serré le lien entre la Suisse et la France par le talent de n’emprunter aucun couloir, fût-il diplomatique. Non, ce sont des ponts aériens, comme dans cette bande-annonce, « J’sais pas quoi faire », où le désir de cinéma demeure intact, presque insolent quand il ne reste à disposition pour faire des films que des fenêtres d’ordis et des apparts aux loyers bien amortis. Mieux que juste faire avec les contraintes, l’ennui, les bugs, les nombres de vues, Yan Ciszewski se joue de tout cela en insufflant à son film du rythme, du drôle et même un peu de lyrisme. Forcément, quand on montre des gens qui aiment, même en se moquant doucement d’eux, on aime aussi, et donc, oui, des ponts aériens.
Richard Szotyori, réalisateur
Adrien Beroud, Bande-annonce FFFH: Waiting for Apolin, 1’
Atelier film de commande – FFFH / Festival du Film Français d’Helvétie
Un travail de commande demande toujours une forte capacité d’adaptation. L’adaptation du désir initial de l’auteur en un scénario, en un objet compréhensible, attirant et pertinent qui plaira aux commanditaires. Mais dans le cadre de la fabrication du lancement du FFFH, Adrien Beroud et ses collègues ont dû redoubler d’inventivité pour s’adapter à l’abrupt confinement du monde. Leurs projets seraient brusquement impossibles à réaliser dans un dispositif de tournage standard ! Waiting for Apolin nous invite dans une vidéoconférence entre amis confinés. Lorsque l’un d’eux sort une invitation au Festival de Bienne, la magie du langage audiovisuel permet à un autre interlocuteur de passer sa main à travers l’écran pour se saisir du carton. Les espaces isolés de chaque personnage semblent à présent connectés. C’est une autre main qui entre maintenant dans le cadre pour la lui reprendre. Tous s’arrachent l’invitation alors que les écrans de conversation se multiplient et rétrécissent au point de ne devenir que des pixels qui, combinés, laissent apparaître le nom du festival. Adrien Beroud a su utiliser la contrainte à son avantage, s’adapter au chaos pour le réinventer.
Antoine Russbach, réalisateur, scénariste
2e année Bachelor
Avril Lehmann, Bliss, 16’58”
Atelier fiction
Image : Thibault Villard
Dès les premières images, des visages ensanglantés se distinguent dans la pénombre. Trois visages fixes, encadrés de noir tel un tableau en trois volets. Ce tableau ne dure que 7 secondes. Cligne-t-elle de l’œil ? Respire-t-il ? Sont-ils morts, sont-ils vivants ? Puis dans un râle imperceptible surgit le titre : Bliss.
Mais quel est ce « bonheur suprême » auquel Avril Lehmann nous invite ? Ce n’est pas le triptyque sanglant du début qui nous donne un indice. Au contraire, il imprime à toutes les images qui suivent un parfum de catastrophe inéluctable. Lola s’ennuie dans son job au bowling. André fait le chauffeur Uber avec la voiture de son père. Et Dino attend un client dans une salle de bains de motel.
Par des plans précis et un montage judicieux, la réalisatrice a su unir les destinées de ces trois protagonistes et entretenir un suspense sur l’issue de leur rencontre annoncée. L’univers d’Avril est étrange et singulier. Entre luxure et provocation, elle dépeint une jeunesse désabusée, anesthésiée, promise à la précarité dans une société où tout se consomme vite.
La quête de sensation à tout prix semble être la preuve qu’on est vivant. Etre vivant : une certaine conception du bonheur ?
Christine Hoffet, monteuse
Yaël Vallotton, Sans condition, 17’39”
Atelier fiction
Image : Michaela Theus
La vie de Camille est partagée entre deux couples : celui qu’elle forme avec sa mère et celui qu’elle construit avec son amante. Amour et haine brouillent les pistes.
Ce qui frappe dans le travail de Michaela à l’image, c’est la qualité avec laquelle découpage et lumière épousent le sujet. Pour chacun des couples, des appartements, des situations, les plans, les focales participent de la narration, des enjeux qui régissent les protagonistes, les opposent ou les réunissent dans une fluidité sûre et spontanée, complétée par la concision du montage. Les éclats de lumière, légèrement marqués, les détails d’un bouquet de roses par exemple, apportent une poésie qui permet au film de s’évader d’un registre essentiellement naturaliste. Grâce à ce recul, délicatement traduit, on est devant un film qui non seulement fait vivre (ou re-vivre ?) les personnages et leur conflit, mais de surcroît en construit la pensée annoncée par le titre : un véritable lien d’amour ne souffre aucune condition.
Le film démontre une compréhension et une collaboration abouties entre mise en scène, interprètes et image. La confiance et le champ accordés à l’interprétation, formidable Marie Fontannaz (Camille), dénotent une belle maturité d’approche.
Agnès Godard, directrice de la photo
Matias Carlier, Les Antres, 18’27”
Atelier documentaire
Cinq chambres. Huit adolescent·e·s. Prohibido entrar. No trespassing. Refuges, lieux de l’intime, territoires secrets, ces antres sont les chambres où Matias et sa caméra furent invités à entrer.
Son dispositif est élémentaire, confinement oblige, mais la parole qu’il recueille est un cadeau. Sa présence est délicate, ses questions petites ou immenses sont sans détour, sans complaisance. Et chacun·e d’y répondre avec une sincérité et une spontanéité désarmantes. D’exquises secondes de trouble, d’introspection. Et toujours dans les récits la saveur du langage, la force des images convoquées hors-champ.
Il faut aimer l’adolescence pour l’écouter si bien. Matias saisit avec humour et douceur, avec grâce, ce moment où l’identité éclot, où se succèdent en une milliseconde gravité et dinguerie, profondeur et autodérision. D’un antre à l’autre, le film a l’élégance de s’affranchir d’une construction thématique. L’amour, les Pringles, les parents, un bang dans une brique de lait, la solitude, les rêves... On chemine dans la parole comme on traverserait un ruisseau sur des pierres de gué, par bonds légers en apparence aléatoires, pour finir au volant d’une berline sur un boulevard West Coast virtuel : ils traceront leur route, ils ont le temps, la vie devant eux.
— Je leur conseillerais de pas se dire que le temps de vie ça fait une expérience. On a tous grandi... Ils sont pas nés à 35 ans ces bâtards.
Jeanne Oberson, monteuse
Sebastiàn Friedmann, Feu l’amour, 16’57”
Atelier documentaire
Image : Myriam Guyénard
A l’origine de Feu l’amour, il y a la fascination de Sebastiàn pour les armes à feu au cinéma. Elles l’inspirent, et c’est de là qu’est né le désir de ce film si délicat et sensible, si plein de tensions aussi.
Sebastiàn aime la fiction, alors il décide d’inventer un personnage – un adolescent qui pratique le tir sportif – dans un décor – un stand de tir dans la campagne fribourgeoise – et il écrit un scénario. Puis il part chercher dans la réalité ce qui s’en rapproche le plus.
Il rencontre Enzo, et le réel s’impose, avec toute sa richesse et sa complexité, tout ce qu’on ne pourrait jamais inventer. Sebastiàn se rend disponible et attentif, curieux et touché par cet ado qui lui ressemble plus qu’il ne l’imaginait. Ce dernier l’invite avec générosité dans son monde, mais il a ses secrets, et une pudeur que savent respecter Sebastiàn et sa cheffe opératrice Myriam, dont la caméra semble toujours à la bonne place.
Sans jamais le juger ni l’enfermer, Feu l’amour nous fait ressentir avec subtilité et beaucoup de talent cet état si particulier de l’adolescence, et laisse à Enzo sa part de mystère, préférant aux réponses la plus belle des questions : qui deviendra-t-il ?
Blaise Harrison, réalisateur
Charlène Girel, La Comtesse et le Comte, 16’
Atelier documentaire
La Comtesse et le Comte. Et Charlène Girel. Car ils sont ici trois facteurs dans cette équation édifiante.
La Comtesse et le Comte, on ne leur donne pas rendez-vous. Ils vous convieront peut-être si vous avez de la chance, ils vous oublieront peut-être si vous êtes habile ; mais ils ne vous attendront pas... A vous d’être ponctuel. Ceux-là ne connaissent ni étiquette ni protocole – et surtout pas les vôtres. Sachez accourir au bon instant, vous faire connaître et vous faire oublier dans le même mouvement ; et vous aurez peut-être l’honneur de capter leur présence. Ensuite, il vous faudra l’audace de voler leurs absences. En chemin, vous aurez peut-être secoué votre matériel, perdu quelques détails – et un paquet de préjugés. Et si vous rentrez chez vous avec un film dans la boîte, vous pourrez encore en faire un objet naïf ou manichéen. Celui-ci est aussi brut que poétique, aussi saisissant que désarmant. En un geste aussi pragmatique que bienveillant, Charlène Girel nous rappelle ici les meilleures vertus d’un « cas d’école ».
Olivier Touche, monteur son
3e année Bachelor — Diplômes
Nikita Merlini, Rondinella, 23’30”
Film de diplôme
Production : ECAL / Pic Film, RSI - Radiotelevisione svizzera di lingua italiana
Soutiens : Office fédéral de la culture (OFC), Cinéforom, Repubblica e Cantone Ticino, Fondo Filmplus della Svizzera Italiana, Ticino Film Commission
Une mère et une fille dans une chambre d’hôtel, à quelques mètres de ce qui fut leur maison... partie en fumée, emportant dans les flammes leur passé commun.
Le film, comme une parenthèse dans cet endroit de passage qu’est « La Rondinella », où les inconnus se croisent et fabriquent des souvenirs, des espaces d’intimité, un lieu où Sofia et sa mère cherchent à reconstruire, avec la fragilité et la maladresse qui caractérisent l’amour qui lie une fille à sa mère.
Nikita investit le lieu clos par le personnage, Sofia, interprété formidablement par Elena Stoll, qui nous envoûte par sa présence, son visage à la fois poupon et féminin, et avec qui Nikita poursuit sa collaboration. Sofia nous entraîne alors dans son ennui, dans ses attentes, dans ses rencontres, dans ses déambulations solitaires, mais surtout dans son élan de vie et de renouveau. Car Rondinella est aussi le portrait de cette jeunesse, pleine de rêves et d’empêchements.
Elsa Amiel, réalisatrice, 1re assistante réalisation
Nora Longatti, Chute, 20’
Film de diplôme
Production : ECAL / Golden Egg Production
Soutiens : Cinéforom
Un plan large fixe presque silencieux ouvre le film sur un immeuble gris, l’entrée du numéro 36, encadrée de deux balcons aux parasols inclinés. Au pied de l’immeuble gît une forme, on découvre que c’est une jeune femme... quand elle se relève.
La narration se répète, avec lenteur, les décors changent au rythme des chutes, la caméra est d’une stabilité volontaire, elle filme comme le témoin d’un regard extérieur ; les décors choisis avec soin sont graphiques, d’une belle sobriété, jouant sur une gamme de couleurs froides nuancée de quelques notes chaudes, la lumière est naturelle, tout est propre et simple.
Cette jeune femme chute – syncope évanouissement perte de conscience abandon ? on ne sait pas. Elle s’efface du temps l’espace d’un regard, elle se fond sur la matière jusqu’à se retrouver au sol, que ce soit dehors ou dedans, elle s’écroule en douceur soit la tête posée sur une épaule, soit enveloppée dans des bras, soit couvée, soit enlacée, par des êtres humains qui tout en délicatesse jusqu’à son réveil veilleront sur elle, toujours silencieux immobiles ils respecteront sa temporalité jusqu’à son retour au mouvement.
Elle retrouve le mouvement, elle re-chute, la narration se répète, ses effondrements ponctuent le film comme le refrain d’une douce berceuse.
Chut ! Laissons-la chuter.
Stéphane Lévy, cheffe décoratrice
Thibault Villard (image), Korlei Rochat et Léonard Vuilleumier (réalisation), Ceux qui désirent se connaître, 25’
Travail de diplôme en image
Prix de l’ECAL pour Thibault Villard (image)
Serait-ce un film sur notre incapacité à engager un échange de peur de ce qu’il y aurait à donner à l’autre et à perdre pour soi ?
Ce qui se fait dans la pénombre se fait sans engagement, routinier, terrestre et aurait dû être sans suite. Et ce qui se dit dans la lumière mène au rire, à une certaine complicité, mais à trop... d’intime ?!
Je ne cherche pas à te connaître, mais juste à ne rien avoir à te devoir... pas même le plaisir. A croire que dans notre société, l’expression de nos sentiments est forcément liberticide pour l’autre.
L’arrivée et le départ en moto qui bordent le film, est-ce de ça dont il s’agit ? De la façon dont on trace sa route dans le monde, mais seul au monde, dans le vent et sous l’emprise de la vitesse et de l’image d’une liberté (avec ses classiques attributs) qui n’en a jamais été une ?
Mettons nos corps et nos pensées en pénombre et nous serons en sécurité, semble nous dire ce film fait d’esquisses ; et en filigrane, peut-être nous interroge-t-il : mais en sécurité de quoi ? Que pouvons-nous encore échanger si nous ne voulons pas du lien ?
C’est sans doute ce qui est le plus remarquable dans ce film. Il nous laisse en questionnement, et c’est un joli travail.
Marianne Lamour, cheffe électricien
Coline Confort (réalisation), Natasha Degrandi (montage), Impériale, 22’
Film de diplôme
Production : ECAL / Climage.
Soutiens : Office fédéral de la culture (OFC), Cinéforom
Il est des films qui se cherchent longtemps, d’autres qui naissent d’une évidence. On ne saurait dire ce qui est préférable. On ne saurait dire en regardant un film si sa trajectoire fut mouvementée ou paisible. Ce qui compte c’est son impact au présent et la trace qu’il laisse.
Impériale a connu des versions de scénario très éloignées du film fini. Mais ces variantes ont nourri la réflexion de Coline, et ce documentaire porte en lui tous les autres non réalisés. Comme des strates. Comme s’il avait fallu tous ces détours pour finalement arriver à nous raconter une histoire simple, de celles qui nous font toujours vibrer, une histoire de désir et d’amour.
On remarquera la grande maturité dans la gestion de la durée des plans, la beauté des cadres et l’attention accordée à la lumière. Le regard presque fébrile porté à son personnage, en même temps qu’une grande détermination dans la manière de l’accompagner. La trajectoire d’Eva est simple et fluide dans son accomplissement, et cette simplicité (si difficile à atteindre) est d’une beauté émouvante. Comme peut l’être le regard d’Eva sur une jeune fille qui suffit à mettre « un peu de paillettes dans sa vie ».
Laurent Larivière, réalisateur, scénariste
Master Cinéma — Diplômes
Elisa Gómez Alvarez (réalisation), Vuk Vukmanović (son), Soraya Luna, 23’
Film de diplôme
Prix de l’ECAL pour Vuk Vukmanović (son)
Le film d’Elisa Gómez Alvarez est sans doute un « objet non identifié ». Il vous embarque dans un voyage cinématographique et humain à travers une exploration d’images, de récits, d’émotions et de souvenirs. Avec Soraya Luna on s’aventure sur les montagnes russes de l’enfance et de la famille, du passé, du présent et du futur. On en sort inévitablement interpellé·e, étourdi·e, ému·e, confus·e. C’est une évidence, il s’agit d’une véritable acrobatie cinématographique ; dans son processus d’écriture, de réalisation et de montage, Elisa Gómez Alvarez s’est révélée être une acrobate de haut niveau comme il y en a dans les plus anciens cirques de Chine ou de Russie. Ce tour de force a aussi été possible grâce à la connivence artistique avec Vuk Vukmanović, ingénieur son et mixeur, dont la collaboration et l’exploration de l’univers sonore ont apporté une énergie unique au film. Après avoir navigué à vue sur sa riche matière, en essayant de donner forme à ses nombreuses strates de pensée, Elisa a réussi à bluffer tout le monde et à amener de l’éclat dans son œuvre. Après la tempête, il y eut Soraya Luna.
Jasmin Basic, coordinatrice Master Cinéma ECAL / HEAD
Lucas Rubio Martinez (réalisation), Ketsia Stocker (production), Europa, 26’
Film de diplôme
Prix Jacqueline Veuve pour Ketsia Stocker (production)
Tout a commencé avec l’image d’une barque perdue au milieu d’un lac. C’était un plan général où se tenaient un homme et une vache. L’homme pleurait et on ne savait pas encore pourquoi. L’image, son aridité glaciale et la solitude dont elle témoignait, évoquait certains films lituaniens ou soviétiques. Puis le désir de s’approcher le plus possible de cette idée initiale de la vie. D’abord avec un personnage d’origine capverdienne et enfin avec un émigré ibérique. Son temps et le sentiment qui le traverse étaient bien connus, donc parfaitement palpables.
Europa me semble être bien plus qu’un film sur la perte ou le déracinement. Un émigré espagnol en Suisse apprend la mort de sa mère pendant une journée de travail, lorsqu’il emmène une vache à l’abattoir y rencontrer la mort. Cette sensation de double perte, accentuée par l’absence et la distance, donne lieu à un transfert de douleur. Le deuil du personnage se transforme ainsi en pulsion de vie et de libération envers la vache. Si la force de ce mouvement intérieur ne peut être pleinement saisi que s’il est vu à la lumière du sentiment de non-appartenance à un lieu, c’est parce que c’est un film qui parle de deuil, de mort, de besoin de réconfort, mais qui parle surtout de l’aliénation. A partir de l’intime.
Pedro Pinho, réalisateur
Grand voyage Bachelor — Japon
Olivia Frey et Nora Longatti, Code of Conduct, 8’12”
Grand voyage - Tokyo, Japon, Bachelor 3e année
Shinjuku, quartier des affaires. Bétons hors-sol, grisaille hors-ciel. Bunkers verticaux. L’ascenseur glisse parmi les étages, paysages de verre, bureaux copiés-collés. Seule sous sa frange, le tailleur strict, elle déambule dans la grande ruche froide. Ravale ses vertiges, regard baissé. Où sont les lignes de fuite, les angles morts dans cette mise en ordre des êtres et des choses ? Sous les néons, pas d’échappatoire au dictat de l’organigramme.
Ou presque. À la pause tabac, le fantastique s’invite au creux des effluves. L’imaginaire enroule autour des corps ses sortilèges gluants, et les genres se mélangent, y compris ceux du bestiaire visuel japonais – tentacules, succions, omikuji. Frisson, exotisation. Sous la discipline des codes, comme une respiration.
Ce fantasme n’est pas forcément celui que l’on croit. La peau est un écran sur lequel peuvent se projeter plusieurs expériences du monde. A l’usure du familier se substitue l’étrangeté de l’Autre, aux appétits typiquement masculins, un plaisir plus sorcier. Après l’extase, la skyline s’offre aux sens comme un jardin d’acier. Tokyo mirage.
Jonas Pulver, chef culture & communication à l’Ambassade de Suisse au Japon
Rodrigo Muñoz et Lucas Giordano, The Way Home, 8’40”
Grand voyage - Tokyo, Japon, Bachelor 3e année
Une jeune femme erre dans une gare bondée. Elle descend les marches puis se retourne pour remonter les escaliers. Elle cherche la direction qu’elle doit emprunter pour rentrer chez elle alors que les Tokyoïtes semblent circuler inlassablement vers une destination bien précise.
C’est en mouvement toujours que nous sortons de la ville pour apercevoir les montagnes et leurs couleurs automnales. A l’image des autres passagers, cette jeune femme trouve enfin le temps d’un répit. S’endormir dans les trains japonais, Lucas et Rodrigo en ont fait l’expérience. C’est peut-être dans ces instants suspendus qu’ils ont puisé la trame de leur récit. A travers leurs yeux enchantés, nous découvrons maintenant la beauté de la nature environnante près du fameux pont Saruhashi alors que les dégâts d’une récente inondation dans la région se font encore ressentir.
Comme l’eau de la rivière qui afflue en contrebas, la jeune femme dans The Way Home est insaisissable. Emportée par le flot, a-t-elle trouvé son chemin de retour ?
Sayaka Mizuno, réalisatrice