ECAL Cinéma 2019
Le Cinéma à l’ECAL
ECAL/Ecole cantonale d’art de Lausanne
ECAL Cinéma S02E01
Au cinéma, l’exercice du deuxième film, ou de l’épisode deux, est souvent le plus délicat. La fameuse confirmation ! Celle qui établira (ou pas) un auteur parmi le gotha du septième art après un premier succès, parfois inespéré. A travers cette publication, nous tentons ce pari. Bienvenue en ouverture d’ECAL Cinéma 2019, saison 02, une année filmique à l’Ecole cantonale d’art de Lausanne.
Dans toute activité professionnelle, le plus difficile est de durer. Depuis une quinzaine d’années, le Département Cinéma de l’ECAL ne s’est pas contenté uniquement d’une deuxième fois réussie, mais a su élever au rang d’habitude, grâce à Lionel Baier et son équipe, des notions essentielles à la création telles que la rigueur, l’inventivité, la technique et le fait de se remettre constamment en question afin de toujours faire mieux. Résultat pour les films issus de l’ECAL (depuis septembre 2018, soit une année académique) : 307 invitations honorées dans les festivals de 48 pays pour plus de 35 récompenses obtenues. Et plus important encore, l’assurance de savoir que la plupart de nos diplômé·e·s travaillent durablement dans les milieux du cinéma ou de la télévision grâce à leur polyvalence et au(x) réseau(x) qu’ils ont pu tisser lors de leurs études. Une première fois qui devient une deuxième fois, qui devient toutes les fois… cela s’appelle une carrière !
Ce livre, tome deux de nos pérégrinations cinématographiques écaliennes, se dirige-t-il sur une route pavée d’étoiles façon Oscar ou sur un chemin bourbeux propice au nanar ? Une seule manière de le savoir : installez-vous confortablement, feuilletez les 144 pages de cet ouvrage et surtout n’oubliez pas de ne pas éteindre votre téléphone portable, ou d’allumer votre ordinateur, pour visionner au fil de la lecture les films réalisés par nos diplômé·e·s ! Bonne séance 2019 !
Alexis Georgacopoulos, directeur de l’ECAL
Hors saison
Saison est un mot qui a connu une inflation sémantique ces dernières années. Son utilisation dans les discussions autour de la machine à café ou sur ses équivalents numériques que sont les réseaux sociaux, a explosé. Bien plus qu’une période de temps allant d’un solstice à un équinoxe, il désigne un nouveau développement narratif pour les amateurs de séries de télévision, ou une bonne pratique pour les consommateurs soucieux de développement durable. Il faut manger des fruits et légumes de saison comme il est important de ne pas rater la dernière saison de Game of Thrones. Bref, tout est question de synchronicité avec le temps présent. Notons que ces deux exemples contiennent une incitation implicite à remettre les pendules à l’heure. Il faut être de son temps, ou ne pas être. Explorer hors du présent, voilà un beau risque à tenter dans une école de cinéma. Respecter le travail des anciens, entendre leur enseignement, pour mieux le trahir avec des propositions pour demain, c’est ce que l’on peut attendre des étudiant·e·s de l’ECAL. Une formation aux métiers du cinéma : à la caméra, au son, au montage, au scénario, à la production, aux métiers de scripts, mais aussi à celui de la réalisation n’a de sens que si on leur invente un usage pour le futur. Surtout quand demain semble si différent d’aujourd’hui. Notre monde professionnel change, la floraison, la fenaison, la taille ou les vendanges ne se pratiquent plus au même moment, ni avec les mêmes outils. Il n’y a plus de saison dans le cinéma. C’est une chance à saisir pour imaginer de nouvelles pratiques, de nouveaux usages du sol qui nous a été légué par quelques maîtres, dont certaines et certains nous ont fait l’amitié d’une visite en 2019. Les étudiant·e·s de l’ECAL s’y préparent et donnent quelques exemples par le film et par le texte dans le présent ouvrage. Déréglons nos montres. Mes remerciements à Rachel Noël, curatrice de cette saison 2 du livre, et à Anne Delseth, coordinatrice du Master, très présente dans les épisodes précédents et partie rejoindre le casting d’une autre série amie : celle du Festival Premiers Plans d’Angers.
Lionel Baier, responsable du Département Cinéma
Bachelor Cinéma
Ce programme s’adresse à des étudiant·e·s passionné·e·s par tous les genres du cinéma et de l’image en mouvement (fiction, documentaire, film expérimental, de communication, programme télévisuel, clip et publicité).
Si la formation en réalisation – dont l’écriture personnelle– reste centrale, ce Bachelor apporte des compétences pluridisciplinaires et étendues dans les différents métiers du cinéma (scénario, image, son, scripte…). Grâce à des cours et des ateliers donnés par des personnalités reconnues de la discipline, les étudiant·e·s se perfectionnent dans des domaines aussi divers que la mise en scène, la direction d’acteurs/actrices, l’écriture scénaristique ou encore la production. Des mandats pour des institutions ou des entreprises, leur permettent de se confronter au monde professionnel.
Très souvent projetés dans les festivals du monde entier, diffusés sur les chaînes de télévision nationales et étrangères, de nombreux films sont régulièrement primés. Les étudiant·e·s bénéficient également d’un enseignement théorique et de conférences multidisciplinaires au sein même de l’école.
Les compétences acquises durant le cursus Bachelor leur offrent la possibilité d’explorer et de présenter un portfolio de films d’une grande variété leur permettant ensuite de s’inscrire dans les divers métiers du cinéma, de réaliser des films d’auteur.e, des commandes publicitaires et aussi de travailler à la télévision, dans des maisons de productions ou encore au sein de festivals. Les étudiant·e·s peuvent approfondir leur domaine de prédilection en poursuivant par le Master en Cinéma à l’ECAL ou un programme équivalent dans une autre institution.
Corps professoral 2018–2019
Responsable Cinéma
Lionel Baier
Coordinatrice
Rachel Noël
Professeur·e·s
Lionel Baier
François Bovier
Rachel Noël
Benoît Rossel, Paris
Richard Szotyori
Production et diffusion
Jean-Guillaume Sonnier
Postproduction
Mykyta Kryvosheiev
Patrick MuroniResponsable Année Propédeutique
David Monnet
Professeur Propédeutique
Thibault de Chateauvieux
Intervenant·e·s Propédeutiques
Sylvain Meltz
Adeena Mey
Anna Percival
Pierre-Emmanuel JaquesResponsables Master Cinéma
Lionel Baier (ECAL)
Olivier Zuchuat (HEAD – ad intérim)
Coordinatrice Master Cinéma
Anne Delseth
Assistante
Marie-Elsa SgualdoIntervenant·e·s 2018–2019
Elsa Amiel, Paris
Séverine Barde, Genève
Blaise Bauquis, Genève
Renato Berta, Paris
Julien Bouissoux, Berne
Mikael Buch, Paris
Thomas Cailley, Paris
Etienne Curchod
Josée Deshaies, Paris
Thierry de Peretti, Ajaccio
Laurence Ferreira Barbosa, Paris
Pauline Gaillard, Paris
Sonia Geneux
Agnès Godard, Paris
Maryam Goormaghtigh, Paris
Yann Gonzalez, Paris
Laurent Guido, Paris
Gwénola Héaulme, Paris
Marie-Eve Hildbrand
Denis Jutzeler, Genève
Marianne Lamour, Paris
Virginie Legeay, Paris
Ursula Meier, Bruxelles
Jeanne Oberson, Bordeaux
Jean-Baptiste Perrin
Aude Py, Paris
Jean Reusser
Raphaël Sohier, Paris
Karine Sudan, Genève
Laëtitia Trapet, Paris
Patrick Tresch
Marc Von Stürler
Jérôme Vittoz, Thonon
Catherine Zins, ParisJury de diplôme Bachelor 2019
Jeanne Lapoirie, Paris
Christoph Schaub, Zurich
Alice Winocour, ParisMasterclasses 2018–2019
Jean-Jacques Annaud, Paris
Joel Coen, New York
Nicolas Philibert, Paris
Clemens Klopfenstein, Montefalso
Thierry Frémaux, Paris
Werner Herzog, Los Angeles
Agnès Jaoui, Paris
Jeremy Thomas, Londres
Virgil Vernier, Paris
Andreï Zviaguintsev, MoscouRécompenses 2018–2019
- « Best short » au AFF avventure film festival Festival
- « Best Emerging Student Filmmaker Award » au Palm Springs International ShortFest and Film Market Festival
- « Best Swiss Newcomer Award » au festival de Locarno Festival
- « SPECIAL MENTION OF THE INTERNATIONAL JURY » à la Berlinale, Festival international du film de Berlin - Compétition Berlinale Generation 14+
- « Student Academy Award », Los Angeles
- « Spirit Award for Best Narrative Short Film » au Brooklyn Film Festival
- « Cinema Nova Award for Best Fiction Short Film » au MIFF, Melbourne International Film Festival
- « Best Student Short Film » au Latin American Short Film Festival Barcelona
- « Signs Award » au Signe de Nuit
- « Special Mention of the Jury » au Menorca International Film Festival
- « Luzern Verein Jungfilme » au UPCOMING FILM MAKERS
- « Best Scenario & Best Short Film » au Hendaia Film Festival
- « Special Jury Award » au FILMETS, Espagne
- « Mention Spéciale du Jury » au Chacun son Court
- « 1st PLACE AWARD » au Konstanzer kurz.film.spiele
- « Special Mention » au Cinemaforum Festival
- « Grand Director » au Princeton Independent Film Festival
- « Golden Dinosaur » au Etiuda&Anima, Pologne
- « Jury’s Special Mention » au Lobo Fest - International Film Festival
- « Mention Spéciale du Jury » au Les Arcs Film Festival
- « President’s Award Winners » au Fall 2018 North Carolina Film Award
- « Grand Prix » au Festival de Vaulx-en-Velin
- « Upcoming Talent » aux Journées de Soleure
- « Meilleure réalisation » au Festival du Cinéma européen
- « Best Student Film » au Tiburon International Film Festival
- « Award » au FIFOG, Suisse
- « BEST DRAMA » au Fastnet Short Film Festival
- « Grand Jury Prize » au Literally Short Film Awards
- « Best Short Film, Best Photography, Best Actor » au SPAIN MOVING IMAGES FESTIVAL 2019 (SMIFF 2019)
- « Best International Film » au Nordic Youth Film Festival
- « Narcisse du meilleur court-métrage suisse » au NIFFF, Neuchâtel International Fantastic Film Festival
- « Méliès d’argent du meilleur court-métrage européen » au NIFFF, Neuchâtel International Fantastic Film Festival
- « Best Student Film Award » au Palm Springs Festival
Chasseurs de Benjamin Bucher, 2018
Ici le chemin des ânes de Lou Rambert-Preiss, 2018
Sœurs Jarariju de Jorge Cadena, 2018
Bonobo de Zoel Aeschbacher, 2017
Crépuscule de Pauline Jeanbourquin, 2017
Satán de Carlos Tapia, 2017
Contact
ECAL/Ecole cantonale d'art de Lausanne
5, avenue du Temple
CH-1020 RenensContact production et diffusion des films : jean_guillaume.sonnier@ecal.ch
Design graphique : Bilal Sebei
Site web : Computed·By© ECAL 2019
Année Propédeutique
Solène Mercier, Romain, 7’55”
Atelier propédeutique
« Ce qui me rend heureux va me tuer. » Romain l’accepte. C’est son malheur. Il ne trouve sa place qu’en soirée. Solène, spectatrice inquiète, voit son ami partir et décide de l’interroger sur ce qui le pousse à aller dans ces raves arracher quelques heures de bonheur. Revenir le lendemain. Attendre la prochaine. Attendre la dernière.
Pour tenter de comprendre, la réalisatrice a la belle idée d’inviter Romain à retourner sur les lieux d’une soirée clandestine en forêt. Ensemble, ils parcourent la clairière et inventent des images et des sons pour mettre le doigt sur ce qui attire tant son ami.
Contrairement à la fiction, le documentaire arrive souvent trop tard. Après coup. Solène fait de cette contrainte le cœur de son dispositif. Elle filme les espaces vides et permet à son protagoniste de faire l’analyse distanciée de ces moments de plénitude après lesquels il court.
Avec ce court-métrage documentaire, Solène réussit à éviter tout jugement et à créer un espace commun entre la vie et les films, là où le sensible défie la gravité des choses.
Thibault de Chateauvieux, réalisateur
1re année Bachelor
Matias Carlier, Alfonse, 7’
Atelier film de commande (Läderach)
Alfonse n’a pas une relation facile avec le chocolat. Mais Alfonse est plein de bonne volonté. Avec du charme et du kitsch, Alfonse décrit le parcours d’un jeune homme plein d’abnégation vers sa renaissance chocolatée.
Quand j’ai commencé à discuter de son scénario avec lui, Matias avait déjà une idée très précise de ce qu’il voulait faire. Les scènes de coursier en ville ? Pas peur. La multiplication des scènes et des décors pour un tournage aussi court ? Pas de problème. La scène d’extase de chocolat… Quatre jours de tournage et dix jours de montage plus tard, je vous laisse la découvrir !
Julien Bouissoux, scénariste
Myriam Guyénard, Ad vitam aeternam, 7’10”
Atelier film de commande (Zöfingen)
Myriam a eu l’intelligence de tourner peu. La matière était précise, nette, juste.
Pour un film court, avec des temps de tournage et de montage aussi brefs, c’était la bonne démarche, courageuse car sans filet.
Le montage fut un exercice de subtils équilibres, d’écoute attentive : des mots, des bruits, des silences. Comme une miniaturiste, Myriam a filmé le petit (les médailles, deux visages, quatre mains) pour raconter le grand (l’amitié virile et l’étrange fraternité qui unit les Zofingiens). Par la petite porte, elle nous fait entrer dans un monde ancien, dont elle arrive à peindre les couleurs crépusculaires avec une économie de moyens remarquable.
Pauline Gaillard, monteuse
2e année Bachelor
Kimyan Flückiger, XX Virus, 13’
Atelier fiction
Loin du sérieux papal de tant de films d’école, XX Virus assume crânement son côté série B, ses dialogues de sale gosse, ses effets gore craspecs et le grain punk de son Super8 noir et blanc. Voilà ce qu’il y a de plus réjouissant dans le geste de Kimyan Flückiger. Ce que l’on considère d’ordinaire comme de la culture pop, voire de la sous-culture directement extraite de films d’action mainstream ou de l’horreur underground, est joyeusement recraché sur l’écran en une bande aussi potache que nerveuse, une montée de sève post-ado/post-apo et politiquement incorrecte, où des mercenaires virils passent leur temps à s’astiquer le manche et à dézinguer des filles zombies. Mais derrière ses giclées de sang et de sperme, XX Virus cache non seulement un cœur tendre (hilarant coït romantique entre un des militaires et une malheureuse infectée), mais surtout une mise en scène qui fait feu de tout bois et s’approprie la grammaire du genre, ses mouvements de caméra furieux, ses flash-back insensés, préférant toujours la vitesse à la complaisance de la beauté (pourtant bien réelle ici grâce à la superbe photo signée Alan DuPasquier).
Comme quoi, l’artisanat inspiré n’est jamais loin du grand art.
Yann Gonzalez, réalisateur
Nora Longatti, Bloc B, 11’
Atelier fiction
Nora Longatti n’en fait qu’à sa tête. Et c’est parfait ainsi. Il fallait du fantastique, elle prendra la contre-allée de l’absurde et de l’étrange. Il fallait de la fiction, elle filmera ses voisins du quartier de la Bourdonnette, où elle vient de s’installer. Point de récit de vie ni de sociologie. Nora Longatti préfère mettre en scène leur sueur, leurs plis, leurs pores, leur sang. Donner à entendre leur salive, leur chair, leur souffle, jusqu’au plus délicat et imperceptible son que produit une bouche en train de sourire.
Son film a la brillance et les attributs des objets chics et parfois vains qui hantent les galeries d’art, mais il en évite remarquablement les écueils. Tout est tiré au cordeau – visages singuliers, costumes atemporels, gestes chorégraphiés, mise en scène ciselée à l’extrême – mais il n’en reste pas moins que le Bloc B existe.
Ses personnages sont puissamment incarnés et filmés avec suffisamment d’amour pour que la fascination opère, pour que la seule tension de leur découverte structure le mince fil narratif – déambulation qui scrute leur humanité – et assume dans le même temps que le mystère de leur identité demeure, irréductible.
Pas plus qu’un quartier populaire ne saurait se résumer à des blocs monotones bâtis à peu de frais sur de mauvais terrains, on ne peut franchir la vitre de l’homme au bonbon. Mais il y a au moins la vérité des corps que l’on peut capter pour atteindre un peu de leur être. Il faut une vraie vision de cinéaste et une solide exigence éthique pour proposer pareil objet de cinéma.
Jeanne Oberson, monteuse
Keerthigan Sivakumar, Aurel Ganz, Jegan, 16’
Atelier fiction
Jegan est sujet à des troubles de l’audition qui le font non seulement souffrir, mais occasionnent aussi un dédoublement de personnalité, physique et mental.
Avec ce scénario, Keerthigan visait à la fois le récit d’une expérience personnelle et l’invention d’un film de « prestidigitation ». Plutôt que d’envisager des trucages numériques, Keerthigan et Aurel ont choisi l’option… Méliès. Leur travail à quatre mains a essentiellement fouillé cette voie. Keerthi décrivait, Aurel traduisait.
Aurel a procédé avec beaucoup de rigueur et de finesse. Découpage en amont, story-board photos effectué par ses soins, analyse d’effet de montage… la préparation a été fructueuse en idées simples, audacieuses de trucages in situ à la manière des illusionnistes. La mise en œuvre a été jubilatoire à observer durant toute la journée de tournage passée avec eux à la bibliothèque. Chacun était investi à sa tâche, entraînant les acteurs dans leur sillon.
Il y a de beaux moments d’équilibre entre registre dramatique et illusionnisme, et si le temps était compté, Keerthigan et Aurel n’ont jamais renoncé ni à leur ambition ni à celle du film. Un bel hommage à la collaboration et au cinématographe.
Agnès Godard, cheffe opératrice
Coline Confort, Des Joies et des peines, 19’40”
Atelier documentaire
Une jeune femme, réalisatrice, rend visite à son grand-père, un agriculteur à la retraite.
Ils partagent un instant de vie en continuant, dans une ambiance toute familiale, à faire leur travail : il cultive son jardin ; elle filme. À partir de cette proposition simple, claire et assumée, Coline Confort met le focus, perce la carapace et vise en plein cœur. Sur un pied d’égalité, le vieil homme de 83 ans et sa petite-fille de 20 ans échangent ouvertement sur les choses de la vie. Au début peu enclin à l’introspection, celui qui se dit un peu rustre finit par se confier, par générosité. La pudeur n’est pas feinte, l’émotion est offerte comme un cadeau que l’on reçoit sans en être redevable. Ce cinéma intimiste, d’une grande délicatesse, est une invitation à réfléchir sur les joies et les peines de l’existence. Le rythme est à l’unisson d’une nature omniprésente.
Jouant de son regard affûté, tendre et parfois amusé, la jeune réalisatrice signe une partition d’une grande justesse. Les musiciens savent que les mélodies les plus simples sont les plus laborieuses à composer ; ce sont souvent les plus belles. Il en est ainsi de ce témoignage.
Gwénola Héaulme, monteuse
Nikita Merlini, L'Ultima, 15’
Atelier documentaire
Elena a 17 ans, les traits d’une Vénus botticellienne, mélancolique. Son frère, à peine plus âgé qu’elle, des bagues encore aux dents, s’apprête à partir de la maison pour voler de ses propres ailes. Il faut quitter le Tessin, coûte que coûte.
Des plages ensoleillées du lac Majeur aux bancs bétonnés du lycée, les discussions se prolongent, tard dans la nuit, dans le clair-obscur d’un feu de camp. Puisqu’ici il n’y a rien, puisqu’il faut partir, où se construire un avenir ? Avec douceur et discrétion, sans voix off ni interview, la caméra de Nikita Merlini, au plus proche des visages et des émotions, capte les saynètes d’une vie quotidienne adolescente, les doutes et les hésitations des Tessinois de cet âge, quelques jours avant la fin de l’école, aux premières chaleurs d’été.
Durant cet atelier documentaire, Nikita Merlini a développé un dispositif lui permettant d’entrer peu à peu dans l’intimité de ses personnages. De cette complicité avec eux est née l’envie de composer ensemble chaque moment du film pour retranscrire au mieux une expérience commune et les émotions qui ont traversé, quelques années plus tôt, le cinéaste originaire de Locarno.
Maryam Goormaghtigh, réalisatrice
3e année Bachelor — Diplômes
Julietta Korbel, Still Working, 17’
Production : ECAL / Thera production
Soutiens : OFC – Office fédéral de la culture, Cinéforom et RTS – Radio Télévision Suisse
Julietta a eu un coup de foudre pour une usine abandonnée. Un décor en ruine, gigantesque et inanimé, mais qu’elle a habité dès la première visite. Le scénario s’est écrit sur cette relation particulière au décor, intime et organique.
Les personnages sont venus dans la foulée, comme sortis de cette glaise-là. Le gardien Pavel, son visage marqué, son chien massif et gracieux. Et la présence de l’usine qui suinte dans tous les plans, creuse son empreinte dans le temps et dans l’espace. Le château et son gardien. Un corps prisonnier d’un corps plus grand. Un vide, un effondrement qui en sonde un autre.
Still Working, le film de Julietta Korbel, est à la fois un portrait, une fable et une expérience physique troublante, hantée. Faite de mystère, de sens et de sensualité. David Lynch dit que le plus difficile quand on fait un film, c’est de tomber amoureux d’une histoire. C’est ce qui s’est passé ici.
Thomas Cailley, scénariste et réalisateur
Adèle Beaulieu, Les Enfers, 14’30”
Prix Jacqueline Veuve 2019
Ava rend visite à son grand-père, François, un personnage fantasque reclus aux confins des Franches-Montagnes, Les enfers. Tel un road movie, les paysages défilent, François confie à Ava qu’il a perdu Antoine, son chien. Petite-fille et grand-père partent à sa recherche. Ils en font leur quête. Comme un prétexte à leur rencontre.
La neige et le brouillard les enveloppent. L’espace se referme sur eux. A défaut d’une trajectoire où se déployer, le temps devient instant. Il se vit à la surface de l’image, à la surface des visages. La quête du chien devient la quête de l’autre que l’on scrute pour en deviner le relief, pour en déceler l’histoire informulée. Ava et François s’enfoncent dans la forêt.
Dans la neige, la marque de leur passage, de leur présence mystérieuse l’un à l’autre.
Leurs chemins s’écartent puis se rejoignent. Une relation se dessine, le lien se crée.
Adèle l’imprime, le noir et blanc nostalgique de la pellicule le révèle. Mise en scène suspendue, impressionniste, délicate. La trace de ses deux personnages – attachants et déroutants – nous traverse. Empreinte savoureuse d’une rencontre, d’une étreinte fugace et profonde dans Les Enfers. Pari réussi.
Sophie Audier, scripte et coresponsable du Département Scripte de La Fémis
Agnese Làposi, Alma nel Branco, 25’
Production : ECAL / Idip films
Soutiens : Cinéforom, RSI – Radiotelevisione svizzera, Repubblica e Cantone Ticino Fondo Swisslos, Ticino Film Commission
« Quand on enlève les cornes aux vaches, elles ne peuvent plus communiquer. »
Pour cette raison, une vache a été enlevée et cachée dans la communauté, néorurale, révolutionnaire et contemporaine, où vit Ramona, une jeune femme épanouie.
Alma, la jeune sœur de Ramona, vient lui rendre visite pour la première fois. Adolescente à la silhouette longiligne et urbaine, elle découvre la vie de sa sœur et c’est dans son regard tour à tour curieux, impressionné et critique que nous découvrons les autres membres qui vivent là. Alma erre au milieu d’eux. Du regard sensible de l’adolescente se dégage une poésie qui éclaire chacun, ici une jeune femme qui oint ses cheveux d’huile, là un beau jeune homme, apprenti fabricant d’explosifs, qui lui montre les effets de ses mixtures. Quelque chose pourrait advenir entre eux… ou pas. Agnese Làposi a choisi de garder Alma à distance de ceux qu’elle rencontre. Par petites touches, elle dessine un portrait de cette jeune fille réservée qui a du mal à se mêler aux autres. Alma restera fascinée par la vache. Et pourquoi pas ? Ce sont des choses de la nature que l’on redécouvre avec le film Alma nel Branco d’Agnese Làposi.
Annette Dutertre, monteuse et responsable du Département Montage à La Fémis
Léonard Sinclair, Maxime Beaud, Belle Dune – See You Later Alligator, 25’
A Fort-Mahon Plage, les dunes sont belles, mais le danger rôde. Ainsi commence l’épisode 1 de la saison 1 dans lequel le lieutenant Angela Jumcaucourt enquête sur le meurtre d’une touriste dont le corps mutilé a été retrouvé dans un terrain vague.
Ambiances tumultueuses de bord de mer, lettres anonymes, Cadillac fantomatiques, tout ici contribue au suspense et à l’étrangeté.
Léonard Sinclair, par une réalisation au cordeau, se joue des codes. En bon médecin légiste, il dissèque les films de genre pour mieux nous perdre et nous surprendre. Tel un Bruno Dumont ayant trop regardé les films de David Lynch ou un Tati perdu dans un tableau d’Yves Klein, Léonard s’amuse à brouiller les pistes, très ensablées par ailleurs. Chaque séquence est construite pour distiller son lot de micro détails comme autant d’indices potentiels, jusqu’à transformer le film en un jeu de rôles à la fois ludique et totalement addictif. Il y a quelque chose d’hypnotique à suivre cette quête sans fin et on en redemande.
Dans ce labyrinthe balnéaire, où rien n’est jamais totalement stable, le fantastique risque de surgir à chaque dérapage du polar. Dans le fond, la seule chose à guetter est moins l’hypothétique épisode 2 que le devenir de ce jeune cinéaste talentueux.
Raphaël Sohier, monteur son
Léonard Vuilleumier, Dans ces rues, 24’
Production : ECAL / Box productions
C’est avec pudeur et une certaine élégance que Léonard Vuilleumier s’empare du thème du deuil et du désir. Un Eros et Thanatos dans les rues de Lausanne. Doux labyrinthe où les hommes cachent les vérités, cherchent les rencontres, flirtent avec les non-dits, trouvent la paix dans la chair.
Léonard Vuilleumier s’est attaché pleinement à son thème en plaçant l’acteur au centre de son travail de recherche, repensant le rythme et l’écriture filmique en fonction de ce personnage et sa déambulation. C’est avec fébrilité mais détermination et croyance qu’il livre avec Dans ces rues un film qui lui ressemble. Nécessairement.
Elsa Amiel, réalisatrice et 1re assistante réalisation
Master Cinéma
Paul Choquet, Moustapha Guèye, Tianze Song, Olivia Frey, Elisa Gómez Alvarez, Yoro Mbaye, Clando Bi, 17’
Diplômes Master Cinéma ECAL/HEAD
Dakar, Sénégal
Grand voyage Master
C’est une voiture ressuscitée d’entre les ferrailles. Vitres cassées, démarrage compliqué, moteur agonisant, va savoir pourquoi… C’est aussi le clando d’un chauffeur amoureux. Attention : amoureux de sa bagnole. Ellipse. Son parcours de tous les jours ? Quelques kilomètres pour quelques pièces, pour faire court quand bien même il s’agit d’un court-métrage, d’une rencontre, d’une discussion... Les rencontres entre clients et chauffeur font parfois cet effet–là, vous réconciliant avec vous-même. Yadou n’est pas simplement chauffeur, collectionneur d’une voiture plus âgée que son père, il l’a conduit toujours !
A l’écran, la première scène est presque miraculeuse : une voiture se réanimant dans la fourrière, on se croirait dans un thriller. Et quelle voiture ! Raccommodée à souhait : un grossier fil de fer noué, des bouts de tissus par-ci, un peu de plastique par-là, et la face pleine de fierté d’un chauffeur de Limousine. C’est cette « Limousine » qui va justement jouer les intermédiaires entre les personnages de Yadou et Diegui, interprétée par une jeune lycéenne qui n’a pas vraiment sa langue dans sa poche. Yadou ne dira pas le contraire.
Clando Bi, c’est aussi un débat, à la fois frais et engagé, sur la vie, sur les choses, la gouvernance, la modernité, la générosité des petites gens… Et tous ces petits désordres et grands bruits.
Tourné en banlieue dakaroise, on parle ici de bouchons de circulation, mais sans la pression du quotidien ; de chantiers, d’un avenir meilleur mais sans questionnement ; de modernité mais sans avenir ; d’une histoire dont on ne connaît pas la faim.
Aissatou Diop, cofondatrice du Centre Yennenga
Vuk Vukmanovic, J'ai rêvé de El Zahir, 6’
Diplômes Master Cinéma ECAL/HEAD
Dakar, Sénégal
Grand voyage Master
Notre troupe court de trottoir en trottoir dans la nuit dakaroise. Six micros sur pattes pour documenter dans la rue le travail d’un photographe. S’incruster sans être intrusif. Eviter les pièges de l’exotisme quand on enregistre pour la première fois les sons d’une ville africaine. Résultat : une création sonore de 14 minutes, Goudi Ndakarou, de Khadyja Mahfou Aidara, Alarba Bousso, Malou Briand, Raphaël Meyer, Oumy Sarr Ndoye et Mamadou Sané.
Ensuite, J'ai rêvé de El Zahir, un travail en solo de Vuk Vukmanovic, pugnace preneur de son face aux gardes, pour donner voix à la lumière tournante d’un phare bien surveillé. Suggérer l’analogie avec les prières répétitives soufies, une nouvelle de Borges en tête. Transmettre aux auditeurs l’intensité du moment mystique vécu sur place.
Jonas Pool, animateur et journaliste radio
Alarba Bousso, Khadyja Mahfou Aidara, Malou Briand, Oumy Sarr Ndoye, Raphaël Meyer, Mamadou Sané, Arena, 13’
Diplômes Master Cinéma ECAL/HEAD
Dakar, Sénégal
Grand voyage Master
Diamniadio est le nom d’un des cinq quartiers choisis par Alain Gomis pour servir de décor à cet atelier Grand voyage à Dakar. Diamniadio, c’est aussi une promesse. Seule voie d’issue de la ville engorgée : le gouvernement y construit son avenir et le placarde sur d’immenses panneaux en bord de route. Hôtels de luxe, centre des congrès, immeubles haut standing, trains, verdure, et surtout : un stade Olympique ! Raphaël, Baye Darou, Khadyja, Malou, Oumy et Alarba sont revenus des étoiles plein les yeux et des récits par milliers de leur première journée de repérage.
Il a ensuite fallu questionner la notion de modernités, thème imposé de l’atelier, et chercher des autorisations pour la/les filmer… Il a surtout fallu tenter de retourner dans le stade ! Diamniadio, qu’on avait parfois de la peine à prononcer, qui sonne comme un diamant, est très vite devenu un cri du cœur, un cri d’équipe, un cri de ralliement.
Anne Delseth, coordinatrice Master Cinéma ECAL/HEAD
Memento
Alexandre Charlet, Chasseur, 17’08”
Hommage : Alexandre Charlet retrouvé
Il y a dans Chasseur une saudade lausannoise. Comme si Alexandre Charlet avait vu dans sa ville un peu de la rouille et du vent de la Lisbonne de Pessoa. Une porte ouverte sur un temps où chaque minute met en doute la précédente. Tourné dans le quartier du Vallon, à quelques centaines de mètres de la brasserie du Château où Alexandre officia quelques années, ce court-métrage essaie de faire corps avec son protagoniste, lui-même confondu avec son lieu. Ainsi en est-il aussi d’Alexandre Charlet, qui nous a quittés en décembre 2018 à 39 ans seulement. A la manière de Victor Nada, je retrouve sa bienveillance et son attention aux autres au détour de chaque plan de Chasseur.
Lionel Baier, responsable du Département Cinéma